Le phénomène de justice populaire préoccupe les défenseurs des droits de l’homme. Mamady Kaba, président de l’Institution nationale indépendante des droits de l’homme (INIDH), déplore l’ampleur que prend ce phénomène, mais pense que l’incivisme, la défaillance du système judiciaire et le laxisme du gouvernement ont contribué à attiser la colère des citoyens à se faire justice.
Conakrynet.info : Quel est votre regard sur le phénomène de justice populaire en Guinée?
Mamady Kaba : C’est vraiment un choc. Je suis personnellement choqué en voyant certaines images de lynchage populaire. Face à cette situation, il aurait fallu qu’un ministre du gouvernement, accompagné d’une délégation, se rende sur les lieux en présence de la presse, envoie un message fort à la population pour exprimer son indignation et faire savoir sa détermination pour que cela ne se reproduise plus. Faire savoir son intention de mettre la machine de l’Etat en marche pour que les coupables soient retrouvés tout de suite et punis conformément à nos lois. Cela aurait calmé les esprits et donné de l’espoir à la famille et amis de la victime.
Mais puisque rien de cela ne s’est passé, alors les citoyens pensent que leur sécurité dépend de leur niveau d’engagement. Et c’est dans cette optique que souvent les innocents se retrouvent entre les mains des citoyens choqués qui se rendent justice eux-mêmes. Les gens sont tués, lynchés et brûlés vifs. C’est une réponse aux défaillances de notre système judiciaire. Parce que quand la population envoie un criminel devant la justice, quelques jours après, il se retrouve dans le quartier pour menacer ceux qui ont contribué à le mettre à la disposition de la justice. Alors, les populations risquent leur vie en collaborant avec la justice pour mettre hors d’état de nuire ceux qui leur rendent la vie impossible, des criminels qui vivent parmi eux. Alors quand la situation arrive à ce niveau, les populations s’organisent pour se donner la justice. C’est donc ce qui est en cours aujourd’hui dans notre pays.
Ainsi, la situation est en train de prendre de l’ampleur. C’est pourquoi, je suis très préoccupé par la situation. Je pense qu’il est temps que le gouvernement et l’Etat prennent les mesures de la situation et agissent de façon vigoureuse pour que le phénomène recule dans notre pays. Parce que ce n’est pas un phénomène d’avenir. C’est incompatible avec la Guinée que nous voulons bâtir. Il faut travailler de façon énergétique pour faire reculer le phénomène.
Quelles solutions préconisez-vous pour stopper ce mal ?
Nous avons des idées que nous avons toujours proposées. Nous avons dit qu’il faut une réflexion nationale pour élaborer un plan d’action nationale contre l’impunité et la vindicte populaire. Ces deux éléments vont ensemble.
Nous avons proposé par exemple la création de structures d’assistance juridique et judicaire dans les cinq communes de la capitaine et à l’intérieur du pays pour conseiller les victimes et les accompagner à être rétablies dans leurs droits à la justice. Si cela est fait, les populations ont plus de chance d’être rétablies sans beaucoup de souffrances et de tracasseries. Si cela est fait, on pourrait demander à la population de ne plus s’adonner aux vindictes populaires. Mais de venir vers les structures qui les accompagneront à la justice. C’est l’idée globale qui pourrait faire reculer le phénomène de justice populaire.
Maintenant à l’intérieur de ce vaste projet, il faut élaborer un plan de sensibilisation nationale. Donc à côté des structures d’assistance juridique et judiciaire, il faut un plan national de sensibilisation pour montrer à la population que le méfait de la vindicte populaire est avantageux pour les criminels. Parce que les criminels font tuer d’autres personnes à leur place. Et à partir de ce moment, ils ont la liberté de commettre des crimes. Chaque fois qu’ils doivent être pris, ils livrent quelqu’un d’autre à leur place et ce dernier est lynché. Eux, ils sont sauvés, puisque les populations n’ont pas les moyens pour mener des investigations sérieuses. Il faut que les investigations reviennent à la justice.
En tant que défenseur des droits de l’homme, quelle analyse faites-vous entre l’incivisme des citoyens et la justice populaire ?
L’incivisme dont il est question, n’est rien d’autre que le non-respect des lois. Le taux d’analphabétisme est très élevé dans notre pays. Donc l’incivisme est lié à cela. Mais la principale cause de l’incivisme en Guinée, est que les dirigeants du pays ne donnent pas de bon exemple. Alors que les populations se réfèrent aux dirigeants.
Tous les dirigeants sont un model dans le quartier où ils vivent, dans la presse où on les observe. Partout où les dirigeants passent, ils sont une référence pour les populations qui les observe. Si les dirigeants ne respectent pas les droits humains, alors ils poussent les populations à agir de même. Si ceux-là qui sont même chargé de promouvoir, de protéger les droits humains sont les premiers à les violer, alors les populations ne trouvent pas de raisons de respecter la loi, les droits des uns et des autres et les libertés de leurs prochains. Ceux-là qui sont même leur référence ne respectent pas la loi et les droits humains. C’est pourquoi les populations n’ont pas de référence dans le domaine du civisme. Il faut alors que tous les dirigeants du pays apprennent à respecter la loi, à se comporter conformément aux droits humains afin que les populations qui les observe puissent agir comme eux dans le respect des droits et des libertés de leur prochain.
Propos recueillis par Amadou Camara