Accueil A LA UNE Lettre ouverte sur la crise multidimensionnelle de la SOGUIPAH S.A en Guinée

Lettre ouverte sur la crise multidimensionnelle de la SOGUIPAH S.A en Guinée

La SOGUIPAH S.A, entreprise agro-industrielle de Guinée, traverse une crise sans précédent après plus de trois décennies de gestion. Les populations locales espéraient un changement après la nomination d’un nouveau Directeur Général, mais un an plus tard, la situation est inchangée. La dissension règne au sein de l’équipe dirigeante, entraînant une rupture de confiance avec la communauté des planteurs, les travailleurs et les responsables locaux. Cette lettre ouverte au Président de la République expose la situation actuelle et les attentes des acteurs clés de l’entreprise. Lisez ci-dessous :

Lettre ouverte sur la crise multidimensionnelle de la SOGUIPAH en Guinée

A

Son Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat, Commandant en Chef des Forces Armées Nationales

La SOGUIPAH S.A, entreprise agro-industrielle de Guinée, traverse une crise sans précédent après plus de trois décennies de gestion. Les populations locales espéraient un changement après la nomination d’un nouveau Directeur Général, mais un an plus tard, la situation ne cesse de s’aggraver. La dissension règne au sein de l’équipe dirigeante, entraînant une rupture de confiance avec la communauté des planteurs, les travailleurs et les responsables locaux. Cette lettre ouverte au Président de la République expose la situation actuelle et les attentes des acteurs clés de l’entreprise.

AFFAIRE SOGUIPAH S.A

Excellence Monsieur le Président,

Le développement de toute nation dépend de ses secteurs d’activité. A l’instar des autres Etats du monde, la République de Guinée a misé sur la relance du développement socioéconomique en se basant sur la filière agricole. Par cette initiative, le gouvernement guinéen a entrepris en décembre 1984 la réalisation d’une structure agro-industrielle dans la préfecture de Yomou (dans les CR de Diécké et de Bignamou) avec l’appui des partenaires. C’est ainsi qu’en 1987, l’Etat guinéen créa la SOGUIPAH avec pour toile de fond, la création et la gestion des plantations de palmiers à huile et d’hévéa d’une part, et d’autre part, de réaliser pour le compte de l’Etat, une opération de développement régional et de réaménagement de territoires pour le bien-être des populations riveraines.

Lancée à son départ sous forme de projet avec d’important investissement réalisés aux effets

bénéfiques et porteurs de croissance, la SOGUIPAH apparaît aujourd’hui comme un des poumons économiques de la Guinée.

Cependant, après plus de trois décennies de gestion, l’entreprise traverse une crise multidimensionnelle sans précédent. D’abord d’ordre managérial, conjoncturel et structurel, cette crise n’a rien d’imaginaire. Elle est la résultante de la mauvaise gestion sous l’ère de ses différents dirigeants successifs. Je vous épargne du sombre bilan de ceux-ci pour rappeler que le quotidien des populations de l’espace SOGUIPAH rythme avec souffrance et désespoir, inquiétude et incertitude. C’est bien dans ce contexte que les braves populations des sous-préfectures de Diécké et Bignamou ont accueilli avec enthousiasme votre avènement au pouvoir, dans l’espoir d’apporter des remèdes aux maux qui sont les leurs. Ainsi, en date du 24 juin 2022 et comme il fallait s’y attendre, vous avez investi votre confiance en trois cadres guinéens qui furent nommés par décret pour conduire désormais la destinée de la SOGUIPAH. Cette nomination fît naître assez d’espoir dans les cœurs, au regard des attentes et de la confiance des populations investie en l’actuel Directeur Général et ses adjoints. Que s’est-il passé donc pour que les espoirs tant suscités par cette nomination s’effondrent comme un mirage dans le désert, en particulier la rupture totale de la confiance en la personne de l’actuel Directeur Général ?

En effet, si la nomination de l’actuel dirigeant de la SOGUIPAH et de ses coéquipiers était très attendue, c’est bien en raison de la profondeur de la crise que connaissait l’entreprise doublée de la misère qui faisait croupir la population au quotidien. Près d’un an après, la situation demeure inchangée. Les attentes des acteurs clés de l’entreprise (plateurs, travailleurs et responsables des collectivités locales décentralisées, Conseil des sages) sont loin d’être comblées. Cet état de fait n’a rien de fortuit, il est la résultante logique du style de management voulu et mise en œuvre par le Directeur Général qui, sans aucune exagération, a érigé l’affairisme, le clientélisme et le clanisme en mode de gouvernance. C’est d’ailleurs, Monsieur le Président de la République, le véritable point d’achoppement entre lui et tous les autres acteurs de la vie de cette entreprise ; comme le traduit l’analyse des rapports de collaboration entre lui et ses collaborateurs directs (ses Adjoints) d’une part (A), ainsi qu’entre lui et les autres acteurs de la vie de l’entreprise (B) d’autre part.

A- Le climat social délétère entre le Directeur Général et les autres acteurs de la vie de la SOGUIPAH S.A

La vie de toute organisation sociale est régie par la bonne collaboration entre les différents acteurs dont l’interaction saine favorise l’épanouissement de celle-ci. En gestion d’entreprise, cela se traduit par la qualité du style de management par lequel le leader opère sa gestion. Il existe de nombreux styles dont celui dit « autocratique » qui apparaît de plus en plus démodé et correspondant moins à la gestion actuelle des organisations au regard de la modernisation accrue des sociétés. Cependant, à y voir de plus près avec l’œil d’observateur averti, point n’est besoin d’être un expert en management des organisation pour se rendre compte que c’est ce style appelé « autocratique ou autoritaire » qui s’avère le plus prisé par le Directeur Général actuel de la SOGUIPAH S.A. ce qui entraine comme corollaires Monsieur le Président de la république, la détérioration des rapports entre le Directeur Général et la communauté des planteurs d’une part, entre le Directeur Général et ses Adjoints ainsi que celui avec les travailleurs, puis les sages des sous-préfectures constituant l’espace SOGUIPAH d’autre part. Très honnêtement, la nature des rapports entre le Directeur Général et toutes les autres catégories d’acteurs dans la vie de cette entreprise augure un lendemain incertain, dans un contexte de crise que traverse la société depuis plusieurs années maintenant.

a-      La dissension au sein de l’équipe dirigeante

Au soir du 24 juin 2022, nous avons appris à la télévision nationale la publication d’un décret portant nomination de trois (03) cadres nationaux à la Direction Générale de la SOGUIPAH S.A sensés conduire la destinée de ce géant de l’agro-industrie guinéenne, empêtrée depuis plusieurs années dans une crise économico-financière et sociale sans précédent depuis sa création. Les compétences et domaines d’attribution de chacun sont bien déterminés, lit-on dans le décret comme suit :

–         Me SOUMAH Mourana Fodé : Directeur Général ;

–         Mme BAH Madina : Directrice Générale Adjointe chargée des Finances et de l’Administration ;

–         M. BAMY Alexis : Directeur Général Adjoint chargé de la Logistique, Import-export.

Concrètement, l’analyse du décret démontre que la spécification des compétences et domaines d’intervention s’explique par le souci de la détermination des attributions de chacun d’une part, et d’éviter le conflit de compétence et l’abus d’autorité au sommet hiérarchique de l’entreprise d’autre part.

En effet, si à la compréhension dudit décret, les deux (02) adjoints assurent les aspects techniques et opérationnels dans leur domaine respectif, le Directeur Général lui, en assure la coordination. Cette innovation des nouvelles autorités de la transition a suscité assez d’espoir dans les cœurs, en raison de ce que d’elle, découlerait désormais une gestion saine, transparent et efficiente le tout, assorti d’un management participatif.

Mais hélas ! Après quelques semaines de franche collaboration, la dissension entre le DG et ses

Adjoints ne s’est pas fait attendre. Cette dissension se manifeste par :

–         Le refus du Directeur Général de favoriser la réflexion commune en vue de la mise en place

d’un plan de sortie de crise ;

–         La prise unilatérale des décisions impactant la vie même de l’entreprise. A titre d’illustration, pendant que l’entreprise traverse une crise économico-financière très profonde, le DG procède à des promotions sans le moindre avis de ses adjoints qui y voit une augmentation inappropriée et inopportune des charges de l’entreprise. Pourtant, ces nominations sont essentiellement affinitaires et claniques (dans le seul but de récompenser ceux qui le suivent et font le culte de personnalité en sa faveur), tout cela au mépris des règles de bienséance et de bonne gouvernance doublées d’amateurisme hors pair. A titre d’exemple, la plupart de ses décisions de nominations se chantent dans les rues à Diécké avant d’être officielles quelques heures ou jours plus tard. Et ce, en violation de l’éthique et de la déontologie.

–         La confiscation des attributions de ses Adjoints est la principale pierre d’achoppement et de la crispation de leur rapport. Nul n’a besoin de relever d’un service de renseignement pour se rendre à l’évidence que la signature des contrats, la passation des marchés dans les domaines respectifs de ses Adjoints se concluent sans la moindre information à leur endroit ; ce qui ne favorise guère une bonne collaboration.

Excellence Monsieur le Président, la détérioration des rapports au sommet hiérarchique de

l’entreprise plombe sa bonne marche et compromet son efficacité.

b-      Relation Directions et Communauté des Planteurs

Excellence Monsieur le Président, la Communauté des planteurs dont il s’agit, est composée des habitants des sous-préfectures de Diécké et Bignamou qui avaient été dépossédés de leurs terres en vue de l’implantation de la SOGUIPAH sans la moindre procédure d’expropriation préalable. Ce qui entraina une crise foncière sans précédent dans la zone. En guise de compensation et à titre de rappel historique, une convention de collaboration du 19 juin 1987 a été élaborée par le gouvernement et les bailleurs de fonds en faveur des populations des deux localités.

En claire, il convenait d’accompagner ces populations par la création des plantations de Palmier à Huile et d’Hévéas, pour les exploiter et revendre les produits à l’entreprise ; dans le but de réduire leur pauvreté.

Mais très malheureusement, force est de constater que la société peine ou refuse d’honorer ses engagements, en dépit de la contrainte que subissent les planteurs à ne livrer leurs productions qu’à la SOGUIPAH alors qu’aucune convention ne les y astreint. Pendant que les planteurs continuent à leur corps défendant de livrer à leur unique preneur, la SOGUIPAH elle, continue d’accumuler des annuités d’arriérés comme le décrivent mieux ces statistiques simplement hallucinantes de dettes contenues dans le tableau ci-dessous.

 

No Annuité Mois concernés Montants Observation

01

2021

Novembre et Décembre 26 985 433 480

02

2022

Janvier et Mai 16 189 561 660

03

2023

Mars 3 822 631 000

Total

05 mois

46 997 626 140

 

Soit un total de quarante-huit milliard trois cent sept millions cent quatre-vingt-cinq mille cent huit francs. Nous vous épargnons même, Monsieur le Président de ce que depuis 2013, les ristournes des planteurs qui s’élèvent déjà à plusieurs centaines de milliards de nos francs fait partie du passif de la SOGUIPAH dont le paiement n’est même pas d’actualité à entendre le Directeur Général.

Face à cette préoccupation, les Unions des planteurs (structures faitières et représentatives de cette communauté), ont multiplié sans succès des démarches auprès du Directeur Général pour tenter d’obtenir un cadre de dialogue et d’élaboration d’un plan commun de sortie de crise. Aussi, devant l’obstination du Directeur Général à n’avoir d’oreille pour personne, les planteurs ont quelques fois usé de la menace de grève pour obtenir au moins le paiement d’un mois sur plusieurs.

Par ailleurs, il n’en demeure pas moins utile de rappeler que le quotidien des planteurs est rythmé par un malaise béant. Eu égard à cet état de fait, une campagne de levée de fond lancée par les Unions afin de dépêcher une délégation pour personnellement vous rencontrer et implorer votre secours.

A ce rapport tendu entre les planteurs et le Directeur Général, vient se superposer la collaboration grippée entre ce dernier et ses travailleurs.

C- Rapports entre Directeur Général et travailleurs :

Excellence Monsieur le Président de la République, les mêmes causes produisant les mêmes effets, la rupture de confiance entre le Directeur Général et les travailleurs s’explique par la non pris en compte de leurs préoccupations et l’absence total de plan de sortie de crise à court, moyen et long terme. Cet état de fait entraîne leur démotivation caractérisée par la baisse de la productivité de l’entreprise. Aussi, point n’est besoin d’être inspecteur de travail pour savoir qu’à la SOGUIPAH, près d’un an après la nomination d’un juriste d’affaire, du moins nous a -t-on dit, il n’existe pas de règlement intérieur et celui en vigueur là-bas date de 1992. Donc complètement désuet et inapproprié sans oublier qu’il n’existe ni charte, ni vision de l’entreprise à la SOGUIPAH. A cela s’ajoute les sentiments d’iniquité, d’injustice nés des promotions et nominations fantaisistes dont le seul critère est d’avoir une affinité ou être du même clan que le Directeur Général. L’existence de club d’amis avec qui il prend l’essentiel des décisions de l’entreprise et ce, au mépris même de la déontologie administrative ne favorise guère un climat social adéquat en entreprise. Le plus incohérent est, du moins à entendre ses partisans, le lien d’amitié profond qu’il a noué avec l’actuel Ministre de l’Agriculture. Il ne ménage d’ailleurs aucun effort à le brandir comme bouclier dans tous ses propos pour justifier ses agissements.

d-      Rapports entre Directeur Général et Conseil des sages :

A la prise de fonction de la nouvelle équipe dirigeante de la SOGUIPAH et comme il est d’usage, les bureaux des deux Conseils sous-préfectoraux de sages des Communes Rurales de Diécké et de Bignamou ont conjointement rencontré le Directeur Général et ses collaborateurs. A cette occasion, ils ont exprimé leurs volontés et engagement à accompagner le Directeur Général en vue d’une sortie de crise. Ainsi certaines attentes des sages vis-à-vis de l’entreprise ont été rappelées et le Directeur Général n’a pas tardé à prendre l’engagement de les satisfaire. Notamment leur désir de voir le poste de responsables en charge de la gestion des planteurs (le Directeur des Plantations Familiales et son Adjoint), en raison de ce que ces structures faitières qui sont les Unions de Planteurs sont quasiment composées de paysans ne comprenant pour la plupart que leurs dialectes locaux.

Excellence Monsieur le Président de la République, il n’apparaît pas superflu de rappeler qu’en 2014 et lors des grands remous sociaux qui avait ébranlé la SOGUIPAH suite à une plateforme revendicative élaborée par les jeunes des deux localités, cette demande faisait partie des points clés. Ainsi, dans le souci de rapprocher la société de la communauté des planteurs, le poste de Directeur des Plantations Familiales est revenu dans la pratique aux originaires des deux localités ayant une parfaite maîtrise des deux zones. C’est donc à la suite du décès de l’adjoint originaire de Bignamou et qui, a coïncidé à l’arrivée de l’actuel Directeur Général que, les notables ont réitéré leur sollicitation qui plus est, a été accordée en théorie par le Directeur Général. Puis à la surprise générale de tous, il nomma son cousin au poste de Directeur Adjoint des plantations Familiales avec pouvoir élargi et n’a d’ailleurs pas tardé à débarquer le Directeur titulaire du véhicule de fonction de ce département pour le lui remettre à son adjoint, donc son cousin qui, pourtant n’a aucune connaissance ni de la sociologie de ces milieux, ni des dialectes qui y sont pratiqués. Se sentant trahi, le Conseil des sages a mainte fois sollicité la rencontre avec le Directeur Général afin de résoudre cette crise sans succès. Dès lors, toutes les tentatives des notables visant à rencontrer le DG SOGUIPAH se heurte au refus de ce dernier. Ce qui a complètement détérioré leur rapport à ce jour.

Excellence Monsieur le Président de la République, il convient de rappeler que c’est avec l’œil d’observateur très proche de la vie de la SOGUIPAH que cette correspondance a été rédiger pour vous saisir afin de vous impliquer personnellement dans la résolution des problèmes qui minent la SOGUIPAH présentement. Les populations de la région forestière et celles de Diécké et Bignamou en particulier espèrent en vous Monsieur le Président. Elles végètent, croupissent sous le poids de la misère liée à la gestion de la SOGUIPAH.

 

Excellence Monsieur le Président de la République, vous voudriez bien permettre cette précision que l’analyse contenue dans ce récit est loin d’être prophétique encore moins à charge, mais elle traduit le constat alarmant des réalités de l’entreprise à ce jour. Si donc rien n’est fait dans le sens de la prise de décisions majeures pouvant impacter la vie et la destinée même de la Société, l’effondrement de celle-ci et le spectre de troubles sociaux ne sont pas à exclure dans un très proche avenir.

Luc Félix MAHOMY